INFORMATION
Nouvelles drogues
M'suis trouvé de nouvelles drogues, m'trouve
tout le temps de nouvelles drogues.
Il n'y a jamais eu aujourd'hui autant de nouvelles manières d'être
drogué, non pas drogué par une substance, mais par de l'abstraction
: des abstractions toujours plus profondes, magnifiques et complexes, des
univers virtuels autonomes, des cathédrales virtuelles, créés
par de nouveaux outils. Les concepteurs de logiciels sont les nouveaux bâtisseurs
de cathédrale.
Nous sommes des abstractionnomanes, nous les utilisateurs d'ordinateurs, de
logiciels, de jeux informatiques, d'Internet, les consommateurs de films,
séries et musiques aux supports dématérialisés.
L'objectif, sinon l'effet, de chaque abstraction est de transformer le plus
de monde possible en son consommateur dépendant. Et les abstractions
grouillent, séduisantes et multiformes. Une vidéologie de masse
est dispensée dans les idéoclubs, transfusée par téléchargements
continus.
Chacun reste chez soi et est en quelque sorte "neutralisé" (au sens
physique, presque politique) : société atomisée où
chacun est "capté" sur mesure par des drogues abstraites très
performantes, modulables et adaptables selon chaque profil de personne (ses
points faibles et ses points de résistance).
Ainsi, les séries TV sont des stases, des pièges, des films
infinis, continus, sans début et sans fin, le vis-à-vis permanent
des écrans (dans la vie professionnelle, la vie sociale, les loisirs)
plonge dans l'hébétude, les zones résidentielles des
villes sont organisées en cimetière, dont les habitants, lissés
continûment par les écrans, ne possèdent aucun relief
de visage, aucun signe distinctif.
Les villes connectées sont des champs où poussent les yeux.
Tout au long de ma vie j'aurais été / Un spectateur de qualité
Et de tout temps j'espère avoir été / Un spectateur de
qualité
Le mutantiste teste toutes ces drogues nouvelles regroupées sous le
drapeau de l'abstraction. Il les teste en cherchant à aller au fond
de chacune d'entre elles, par immersion. Il cherche à trouver la logique,
le mécanisme propre à chacune de ces drogues abstraites, son
mode opératoire spécifique.
Et ceci afin de le maîtriser, de s'en débarrasser, l'éradiquer
de son propre système, tout en mettant le mécanisme de cette
drogue au service de ses objectifs, créations et actes.
Exemples : comprendre les mécanismes des séries TV US, des jeux
sur navigateurs, des jeux massivement multi-joueurs, des jeux vidéos
en tout genre, de logiciels en tout genre, des films de cinéma, des
réseaux sociaux (messagerie, groupes [Google, Yahoo, etc.], Myspace,
Facebook, forums spécialisés, etc.), des réseaux de téléchargement.
Dans un premier temps : immersion sans recul, exploration du système,
puis dans un second temps : distanciation, analyse des composants techniques
et psychiques, et utilisation d'éléments choisis pour des objectifs
mutantistes.
Cette exploration porte en elle le danger de ne jamais sortir de la première
phase, de ne jamais sortir de l'immersion. Les jeux, les séries, les
films, les
perfections autonomes abstraites, sont des virus dans
la connaissance (dans la veille mutantiste) : des courts-circuits.
Chacun de leurs explorateurs a en effet un pourcentage de risque non négligeable
de tomber sous le joug de leur addiction, et en conséquence d'abandonner
peu à peu l'exploration de toutes les abstractions pour rester dans
le piège de l'une d'entre elles. Les perfections abstraites sont des
micro-univers autonomes qui se constituent, se proposent comme addiction à
leur explorateur, elles transforment leurs explorateurs en drogués.
Les « toucher » rend drogué.
L'explorateur se confronte à toutes les images, tous les films, tous
les jeux, toutes les manifestations abstraites, pour augmenter sa compréhension
du monde, sa connaissance et sa plasticité mentale, savoir ce qu'il
y a dans la tête des autres et les comprendre de l'intérieur,
mais certaines de ces connaissances constituent des pièges, un regard
de Méduse, en se constituant comme addiction (en prison abstraite)
pour qui les contemple.
L'explorateur doit développer un bouclier mental anti-addiction, une
capacité de s'arracher aux immersions les plus profondes, ou sinon
ne remontera jamais de ses immersions dans l'abstraction, comme quelqu'un
voulant tester l'héroïne, le crack, le LSD ou une nouvelle drogue
de synthèse, pour savoir de quoi il s'agit, risque de vouloir continuer
l'expérience au-delà de ce qu'il avait prévu, de dévier
de sa course et rester enfermé dans une boucle. La confrontation à
toutes les têtes, tous les univers, implique le risque de se décentrer
au point de se perdre. Comme une mouche collectionnant le suc particulier
des plantes carnivores finit par y prendre goût, et reste volontairement
enfermé dans l'une d'entre elles, la majorité des explorateurs
de l'abstraction deviennent esclaves de quelques-unes de leurs découvertes,
et passent du statut d'explorateur à celui de consommateur dépendant.